Réserves latentes en Suisse : cadre légal, pratiques, transparence et enjeux fiscaux
1) Définition et idée directrice
En Suisse, les réserves latentes (hidden reserves) sont l’écart entre la valeur économique des actifs/passifs et leur valeur comptable publiée. Elles résultent le plus souvent d’actifs sous-évalués (amortissements supplémentaires, valorisation prudente des stocks, maintien au coût historique) et/ou de passifs/provisions surévalués (provisions de prudence), conformément au principe de prudence. Elles sont expressément admises par le droit comptable suisse et constituent une particularité nationale.
2) Base légale dans le Code des obligations (CO)
Principe de prudence & évaluation. L’art. 960a al. 4 CO autorise des amortissements et corrections de valeur supplémentaires « pour assurer la prospérité durable de l’entreprise » et permet de ne pas dissoudre des corrections devenues non nécessaires.
Annexe & transparence. Lorsque la libération nette de réserves latentes a un impact positif significatif sur le résultat, elle doit être mentionnée dans l’annexe. En pratique, seule la différence entre réserves dissoutes et nouvellement créées est exigée (effet de « netting »).
Références officielles. Les dispositions sur la présentation, l’évaluation et l’annexe se lisent en combinaison avec les art. 958 ss CO (structure, principes), 960 ss CO (évaluation), 959c CO (contenu de l’annexe).
3) Comment se forment les réserves latentes ?
a) Sous-évaluation d’actifs
- Amortissements au-delà de la dépréciation économique.
- Valorisation prudente des stocks (méthodes conservatrices, décotes).
- Immobilisations maintenues au coût malgré une valeur de marché supérieure.
b) Surévaluation de passifs / provisions
- Provisions de prudence supérieures au risque attendu.
- Estimations prudentes d’obligations futures.
Synthèse pratique. Les réserves latentes découlent de dépréciations supplémentaires et/ou de provisions permises par la loi ; leur libération nette positive doit figurer en annexe lorsqu’elle influence significativement le résultat.
4) Pourquoi les entreprises les utilisent ?
Avantages (PME/SECO).
- Lissage des résultats d’une année à l’autre.
- Coussin en période difficile (capacité d’absorber des pertes).
- Autofinancement implicite et retenue des dividendes (conservation de ressources).
Limites/Risques.
- Transparence réduite pour les tiers (banques, investisseurs, créanciers).
- Potentiel de manipulation des performances publiées.
- Comparabilité affaiblie entre entreprises et dans le temps.
5) Ce que disent les référentiels au-delà du CO
- Swiss GAAP FER / RPC visent une image fidèle (true & fair view) et restreignent les réserves latentes arbitraires. Adoption FER = transparence accrue (méthodes justifiées, disclosures plus riches).
- Pratique PME. Les réserves latentes restent fréquentes sous CO, mais plus encadrées sous FER (provisions justifiées, informations en annexe).
- Doctrine/Big Four. Définition opérationnelle : écart entre valeurs comptables et maximums admis par la loi ; attentes de gouvernance et d’annexe renforcées.
6) Transparence : annexe et gouvernance
- Annexe (CO). Mentionner la libération nette lorsqu’elle accroît sensiblement le résultat.
- Gouvernance. Le conseil doit surveiller la politique de prudence, l’ampleur des réserves et leur dynamique(créations/dissolutions), notamment lors d’opérations sensibles (dividendes, acquisitions, covenant bancaire).
- Droits des actionnaires. Dans certains cas, une minorité peut exiger des informations supplémentaires ; d’où l’intérêt d’une traçabilité interne des estimations.
7) Distinctions utiles
- Réserves latentes vs réserves de fluctuation (p. ex. sur titres) : ces dernières sont ouvertes et divulguées ; elles ne sont pas des réserves « cachées ».
- Comptes internes vs comptes publiés : en présence de réserves latentes, les fonds propres économiques (interne) sont supérieurs aux fonds propres publiés.
8) Enjeux fiscaux (focus Genève / RFFA)
Depuis la RFFA (1.1.2020), Genève permet la déclaration et la gestion des réserves latentes (y compris goodwill) lors de la sortie de statuts fiscaux privilégiés (ou à l’entrée dans l’assujettissement ordinaire). En pratique :
- Décision préalable de l’autorité fiscale (constatation).
- Suivi dans la déclaration, étalement possible des effets.
- Guides GeTax/CSI : modalités de report et limitation de la réduction fiscale liée aux réserves déclarées.
Conclusion : anticiper et documenter pour sécuriser le traitement fiscal.
9) Exemple didactique
Cas. Une société industrielle applique des amortissements supplémentaires sur ses machines et constitue une provision de prudence pour litige.
Effet N. Valeur comptable des machines < valeur économique ; passif > risque attendu ⇒ réserves latentes.
Effet N+1. Vente d’un actif avec plus-value et litige clos à moindre coût ⇒ libération nette de réserves latentes, haussedu résultat ; mention en annexe si effet significatif.
10) Bonnes pratiques (PME & groupes)
- Documenter la politique de prudence (amortissements, provisions), méthodes et hypothèses.
- Calibrer : prudence ≠ arbitraire ; appuyer par tests et analyses (obsolescence, durées d’utilité, matrices de risques).
- Surveiller l’annexe : tracer la libération nette et ses effets ; éviter les surprises pour les tiers.
- Anticiper le fiscal (RFFA/cantons) : chiffrer tôt, sécuriser via décision/échanges avec l’autorité.
- Évaluer FER : si l’objectif est l’image fidèle (banques, investisseurs), réduire les réserves latentes et renforcerles disclosures.
11) Points à retenir
- Les réserves latentes sont légales en Suisse (art. 960a al. 4 CO) et découlent du principe de prudence.
- Elles lissent les résultats mais réduisent la transparence ; le CO impose un minimum d’information (libération nette).
- Swiss GAAP FER limite les pratiques : justification et visibilité accrues.
- Des enjeux fiscaux existent (RFFA/GE) : planifier et documenter.
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- Comptabilité & reporting : politiques d’amortissement, évaluations de stocks, provisions (modèles, contrôles, annexes CO).
- Conversion référentielle : passage CO → Swiss GAAP FER, gap analysis, plan de transition, formation interne.
- Transactions & M&A : due diligence des réserves latentes (qualité du résultat, normalisation EBITDA, clauses d’ajustement).
- Fiscalité : dossiers RFFA (Genève & autres cantons), décisions en constatation, suivi GeTax/CSI, modélisation des impacts, TVA.
- Gouvernance & contrôle interne : politiques d’estimation, pistes d’audit, comités d’examen, préparation aux revues bancaires.
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FAQ – Réserves latentes en Suisse
Q1. Les réserves latentes sont-elles autorisées ?
Oui. Le CO (art. 960a al. 4) autorise des corrections supplémentaires et la non-dissolution de corrections devenues non nécessaires, dans l’esprit de prudence.
Q2. Doit-on les dévoiler dans les comptes ?
La création n’est pas publiée. En revanche, une libération nette qui augmente significativement le résultat doit être indiquée dans l’annexe.
Q3. Swiss GAAP FER les permet-elles ?
FER vise l’image fidèle et restreint les réserves latentes arbitraires. Vous pouvez conserver une prudence justifiée, mais avec disclosures et justifications renforcées.
Q4. Quels sont les principaux risques ?
Transparence réduite, comparabilité limitée, suspicion des financeurs/réviseurs en cas d’amplitudes anormales ou de cycles de création/dissolution opportunistes.
Q5. Quel lien avec l’impôt (Genève/RFFA) ?
Lors de la sortie d’un statut fiscal privilégié (ou entrée à l’ordinaire), il est possible de déclarer certaines réserves latentes (incl. goodwill) : la procédure doit être planifiée et documentée pour sécuriser l’étalement et la déductibilité.
Q6. Comment démarrer concrètement en PME ?
- Faire un inventaire des zones de prudence (immobilisations, stocks, provisions).
- Quantifier l’écart économique vs valeur comptable.
- Formaliser une politique (seuils, durées, méthodes).
- Mettre en place une note d’annexe type pour la libération nette.
- Anticiper les effets fiscaux et la communication aux banques/tiers.